Noir, né en Afrique, mais suis-je Africain ?

Je ne peux ni ne veux parler doctement de ce dont j’ai seulement entendu parler. Mais en écoutant les commentaires sur le film Black Panther[1], j’ai été saisi par la rationalité limitée – et c’est peu dire –  de deux types d’individus. Les premiers s’extasient de tout ce qui est assorti de l’adjectif « noir ». Que ce soit du chocolat, un chien, un ciel ou un enfer. Que leur importe ! Tout ce qui est noir est bon. Les seconds tiennent tous les noirs, sans distinction, pour un peuple… que dis-je, une peuplade vivant sur la planète de l’écrivain Pierre Boulle. Deux imaginaires. Comment s’y retrouver ? Que signifie être Africain aujourd’hui ?

Bref, je ne débats pas de ce que je ne sais pas, j’irai voir le film. D’ailleurs, je pense que seuls les médecins et quelques scientifiques ont un intérêt certain à évoquer le mélanoderme ou le caucasien… J’irai voir ce film, pas parce que certains en parlent comme d’un « Blackbuster » génial, pas non plus pour rabattre le caquet à des blancs ! Un bon film doit être un bon film. Aujourd’hui tous les films sont en couleurs. En attendant, une question resurgit de mon subconscient : Suis-je Africain ?

Je suis noir et né en Afrique

Il est simple de dire oui ou non, mais pas simple de trouver le pourquoi ! Nkrumah, lui, savait : « je suis Africain… parce que l’Afrique est née en moi », disait-il. Moi, je ne sais pas. On n’est jamais sûr de savoir qui on est. Cela ne dépend pas – que – de là où on nait et de là où on est… Je ne suis pas né dans un hameau perdu du désert du Niger ou dans une hutte de la forêt gabonaise : Est-ce ma faute ?

Je n’ai pas été un décapiteur de Boko Haram, ni un enfant soldat; est-ce que l’UNICEF m’a compté comme un enfant africain ? Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai échappé au cholera, à la poliomyélite ; je n’ai pas souffert de malnutrition. Ne suis-je pas Africain pour l’OMS ?

Je n’aime pas le FESPACO[2], comédie sur écran géant d’oscars au rabais pour un groupuscule de cinéphiles plus obscurs qu’obscurantistes, applaudit par une poignée d’occidentaux qui aiment voir les rues poussiéreuses, les cases miséreuses, les fillettes malheureuses… Je n’aime pas le FESPACO !

Suis-je acculturé? Ne suis-je pas Africain? 

Je n’ai jamais vu un match d’aucun championnat africain ; ces matchs, m’a-t-on dit, qui se jouent sans grands enjeux sur des terrains de latérites avec pour seuls supporters les beaux oiseaux d’Afrique. Je préfère regarder la Champions League, ne suis-je pas Africain ?   

Je ne suis pas le fils d’un dictateur débonnaire, je ne milite dans aucun parti politique d’ici ou d’ailleurs. Je ne suis d’aucune tendance des panafricanismes, dont certains me semblent des chevaux de Troie pour faire entrer un certain passé dans l’avenir incertain, qui serait alors certainement un avenir de réminiscence… Je ne suis ni afro pessimiste, ni afro optimiste, rien d’afro du tout ! Ne suis pas Africain ?

Je ne vais pas aux pléthoriques forums économiques, rendez-vous politiques où des chiffres compilés à Washington sont expliqués par des experts de l’Afrique, arrivés spécialement pour l’événement, logés à coup de millions, avec la bénédiction d’un parterre d’hommes d’affaires par ailleurs ministres ou « ingouvernants » de pays malades de marasmes économiques. Ces agoras au refrain identique… je n’y vais pas. Ne suis pas un bon Africain ?

Je ne participe pas non plus aux débats sempiternels sur la misère du pauvre contient noir, ni aux rencontres mi hypocrites mi naïves sur les brillantes perspectives prochaines (quand ?!) de l’Afrique.

Ai-je cessé d'être Africain?

J’ai essayé de travailler entre les lois scélérates et les règles prêt-à-porter. J’ai dû batailler au quotidien contre les vautours du fisc et les inquisiteurs des impôts. Aujourd’hui, loin de mon pays, j’arrive à vivre dignement sans invocations politiques, sans incantations fiscales. De guerre lasse, je suis parti de chez moi, malgré moi. Ai-je cessé d’être Africain ? Je ne cherchais qu’un bout de terre pour vivre et mener à bien mon business !

Ne suis-je pas digne d’être Africain ? Je n’entends plus les nouvelles identiques sur l’Afrique : ni les chiffres ahurissants sur les potentialités, ni les fleuves de larmes de pitié… Je ne pense pas être devenu indifférent. Je n’entends plus rien. Simplement. Je parcours les nouvelles noires le regard hagard.

L’autre soir, à la terrasse d’un café, la télévision présentait les nouvelles de l’Afrique que je regardais sans voir:

-       Au Nigéria, Boko Haram a ajouté des jeunes filles à sa collection. Une centaine de collégiennes raptées au nez et à la barbe de tous.

-       Au Mali, encore des morts. Il y a peu, plus de 20 pauvres innocents, qui avaient eu le malheur d’être dans un véhicule passant sur une mine, ont trouvé… la mort !

-       Au Congo, encore des morts ! Dans des manifestations de contestation de je-ne-sais-quoi, toujours des histoires de président ou d’élection.

-       En Afrique du sud, Zuma est parti, Ramaphosa est arrivé… Vive l’ANC ! Et à propos de chez Mandela, j’ai lu récemment qu’il y avait un procès pour anthropophagie, en plein 21è siècle !

-       La CEDEAO entend mettre en circulation sa monnaie unique en 2020 ! Mais voyons ! La ZMAO & CO, on en a eu échos depuis… Et l’ECO, c’était prévu pour 2003, puis 2005, après 2009 et 2015… Vraiment, politiquement, rien de nouveau sous le soleil noir.

La question est lancinante. Et je me réinterroge: Suis-je Africain ? Pourquoi ?... Ne suis-je pas Africain ? Pourquoi pas ? Vivement le WAKANDA ! Le pays africain de Black Panther.

Andy KURTIS, artiste, analyste pour Audace Institut Afrique.



[1] Film sorti en 2018, véhiculant une représentation positive et forte de la culture africaine, en alliant traditions et technologies ultra innovantes dans un pays africain imaginaire : le WAKANDA.

[2] Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou.