Le drapeau : un miroir de l’État

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Buzz Adrin, le deuxième astronaute américain à avoir marché sur la lune, était très fier d’y avoir planté le drapeau de son pays, il y a 50 ans ! À sa récente apparition publique, sa cravate était un drapeau américain ! Même ses chaussettes étaient étoilées. À Kidal, au Mali, il y a quelques jours, on brûlait un drapeau.

1 - « Nous condamnons fermement… »

L’Onu a condamné ! Mais la routine condamnatoire est illusoire. Illusion d’une mission accomplie : la condamnation n’est pas une action. Elle est peut-être nécessaire, mais largement insuffisante ! L’État malien à Kidal : là est la question que le drapeau brûlé ne saurait voiler. Bourdieu écrivait que « L’État est une entité théologique, c’est-à-dire une entité qui existe par la croyance ». À Kidal, visiblement, il y a une question de foi… Un objet n’est profané que s’il est sacré.

2 - L’adhésion au drapeau !

Le 23 février 1945, un drapeau planté par des soldats américains, sur l’île japonaise d’Iwo Jima, avait suscité tant d’émotions ; bien avant que la bannière étoilée ne flotte sur la lune. Le drapeau est le témoin d’une mémoire collective. Mais s’il a une puissante charge symbolique, c’est après tout un « morceau de tissu ». Le symbole doit porter sa valeur. Le drapeau est légitimé par une réalité connue ou vécue. À Kidal, on peut hisser un drapeau, comme à Iwo Jima ou sur la lune… mais sur quel mât ?

3 - Symbole collectif, référence personnelle

Le drapeau n’est rendu beau que par le regard du citoyen, par le mât de l’histoire commune ! Regardez un drapeau que vous n’avez jamais vu… il ne vous dit rien ! Or, autant la lune est le satellite naturel de la terre, autant Bamako aurait dû être le satellite naturel de Kidal.

Ce n’est pas un texte qui fait aimer un drapeau, ni un décret, ni une Constitution, ni même l’obligation faite aux bambins affamés et mal chaussés, de se tenir à ses pieds le lundi… Les couleurs nationales ? Des mots vides de sens en eux-mêmes : seuls les citoyens les remplissent.

4 - Ce qui fait aimer le drapeau ?

Laissons les théories. À Gaborone ou à Genève, qui pense à brûler le drapeau ?! En comptant les comptes bancaires ou les diamants… Au Botswana comme en Suisse, le citoyen mange à sa faim ! Le drapeau, c’est une projection de la nation, un reflet de l’État ! On ne le renie pas comme on renie un gouvernement. Aux États-Unis, de Roosevelt à Nixon, le drapeau a été hissé au cœur du Pacifique et sur la Lune ! Au Mali, pendant que la NASA préparait la mission Apollo 11, en 1969, Moussa Traoré s’apprêtait à renverser Modibo Kéita.

5 - L’État n’est pas le gouvernement !

Le Mali, les Etats-Unis :deux prototypes de la confusion aberrante, mais si fréquente, entre l’État et le Gouvernement !

L’État transcende les personnes qui l’incarnent. Un médecin qui soigne au nom de l’État, accomplit une mission d’État, au même titre qu’un policier qui contrôle la circulation ou un ministre… l’État les dépasse tous ! La fonction n’est pas la personne. La distinction est essentielle.

La constante, c’est l’État ! La variable, c’est le gouvernement et tous ceux qui exercent une fonction publique. Si cette distinction mytho-logique n’est pas partagée et acceptée, l’État ne peut exister.

6 - Ce drapeau qui cache la forêt du désert étatique malien !

Quand le drapeau flotte, si on y voit le gouvernement… il y a un problème !Mais au Mali, il faut avancer, dit-on, et pour cela on enjambe hâtivement l’histoire ! Il suffirait de respecter les accords de paix, de rétablir l’autorité de l’État au centre et au nord Mali. On suppose donc qu’une telle autorité aurait existé. Faux départ ! On ne peut ainsi arriver nulle part.

La force de l’ONU au Mali (MINUSMA) est-elle venue pour observer et se défendre ? La communauté internationale finance comme au casino : par chance ou hasard. À l’Onu ? On sanctionne ! Puis, on recorrige la liste des sanctions. Une histoire lunatique… Aberrant ! Pendant que Bamako chante le refrain de la souveraineté, avec son couplet favori : « Le Mali rempart du terrorisme ! » La digue ne doit pas être rompue… Et après ? Rien.

7 - S’attaquer aux racines !

Le 22 mars 2012, les putschistes se plaignaient de ne pas avoir les armes pour combattre les rebelles! Sept années après : rien. Aucune autorité étatique n’est installée à Kidal ! Dans ces circonstances, que voulez-vous que le drapeau malien symbolise ? Le drapeau est un miroir. On brûle un drapeau comme on brise un miroir… Le geste n’est pas banal. Les sanctions le sont.

8 - Des questions flottent dans le vent… comme un drapeau abandonné !

Fêtons les « moonwalkers » de juillet 1969, mais n’oublions pas Kidal, le Mali… et le mal commun à tant d’États : la confusion gouvernement/État. C’est un peu tragédien, avouons-le, qu’un drapeau flotte sur la lune et qu’à Kidal, on n’y arrive pas… Que faire à présent ? La question est subsidiaire ! Il faut d’abord accepter la réalité dans sa complexité.

Cheick Modibo Diarra, l’astrophysicien malien qui a travaillé près de 20 ans à la NASA, n’a pu être premier ministre dans son pays que pendant 7 mois et 24 jours… C’est dire !

9 - Dynamisme, Fermeté, Flexibilité, Adaptabilité 

Ce sont les mots de la résolution 2480 du Conseil de sécurité de juin 2019. Ce qu’il faut faire est connu ; mais cela exige une meilleure coordination de tous les acteurs, des financement et déploiement diligents. Du coup, les problèmes d’efficacité semblent être, au fond, une question de volonté ! Une absence de volonté résolue pour : 1/ Élaborer et respecter un chronogramme clair; 2/ Inclure les communautés pour réduire les violences; 3/ Rendre présent l’État malien au centre du Mali, par la réouverture des écoles, des hôpitaux, l’adduction d’eau… en plus du drapeau !

10 - Pour le Mali, une nouvelle lune !

Négligente et expéditive, la communauté internationale accepte la confusion volontaire État/gouvernement. Elle est pourtant inutile ! Quand on agit résolument pour l’État, personne ne peut opposer des prétextes légalistes. La communauté internationale, le gouvernement malien, les groupes armés : ce triangle aux intérêts hétéroclites doit se souvenir de ce qui compte : l’État (des femmes, des hommes, des enfants… des institutions qui les transcendent, pour les servir). Vouloir -vouloir vraiment ! - en agissant diligemment, ce serait plus qu’un petit pas, un bond de géant.

Désiré N’Dri, analyste pour Audace Institut Afrique.