
En effet, « la démocratie n’est pas un mode d’existence de la société toute entière, mais de la société politique ». C’est la société politique dont l’institution centrale est le parlement qui est le lieu de la démocratie, qui se définit par l’autonomie du système politique et par son rôle de médiation entre l’État et la société civile. Distinct de ces deux dimensions de la société, le système politique « a pour charge de faire fonctionner la société dans son ensemble, en combinant la pluralité des intérêts avec l’unité de la loi ». Par ce travail de médiation, l’autonomie dans le corps social est préservée à travers le service et la défense des droits et des libertés ! La confusion de l’État avec la société politique conduit à subordonner la multiplicité des intérêts sociaux à l’action unificatrice de l’État. Une dérive despotique de l’État peut procéder de cette confusion. Inversement, une confusion de la société politique avec la société civile conduit à créer un ordre politique et juridique qui reproduit les intérêts économiquement dominants.
L’intellectuel doit lutter contre le populisme Cette autonomie fondamentale de la démocratie, qui ne se trouve ni dans l’État ni dans la société civile, mais dans la société politique, assigne à l’intellectuel un rôle d’autonomisation du corps social et de médiation entre l’universel et le particulier. Le rôle de l’intelligentsia dans la démocratie doit être le reflet intellectuel de l’autonomie du système politique, dans la mesure où l’activité de l’intellectuel se décline nécessairement sous les trois dimensions de la critique idéologique morale ou technique.
De même que le système politique préserve son efficience démocratique, en évitant de se confondre avec l’État et la société civile, l’intellectuel doit lutter à la fois contre le populisme et défendre les libertés et les droits contre le Pouvoir. Son engagement pour la défense des libertés et des droits personnels et collectifs doit être accompagné par une conduite d’exemplarité ! La démocratie se maintient par cette synergie de l’autonomie du système politique avec le caractère autonome de la participation démocratique des intellectuels, car « le système politique n’est pas seulement défini par un ensemble d’institutions démocratiques, de mécanismes de prises de décisions reconnues comme légitimes ; il correspond à l’ensemble de l’espace public, en particulier à l’influence des médias et aux initiatives des intellectuels ». La synergie des initiatives critiques des intellectuels et de l’autonomie du système politique préserve la société de la dérive oligarchique et de la dérive populiste. Elle est requise pour que les institutions démocratiques parviennent à se transformer en institutions représentatives et pour que le projet de développement endogène, qui est le télos de la démocratie en Afrique, puisse être poursuivi avec efficience. Le rôle des intellectuels est spécifiquement, en ce sens, de « combiner la mise en œuvre du développement endogène, en particulier les conflits sociaux dont l’enjeu est l’utilisation sociale de la rationalisation avec la mobilisation des forces de libération ». Tomber dans l’égoïsme moral en ramenant toutes les fins à soi Lorsque, cédant à l’ivresse de l’opium de la parole et de la critique facile, l’intellectuel tombe dans la rhétorique creuse et dans les sophismes qui le conduisent à combiner des mots vides dans la démagogie, au lieu de combiner la liberté et les forces de libération qui permettent d’élargir les espaces politiques de la démocratie et de poursuivre le développement endogène ; lorsque, saisi par une pathologie de la réflexion, il tombe dans l’égoïsme moral en ramenant toutes les fins à soi, en ne voyant d’utilité qu’en ce qui lui est utile ; lorsque, par eudémonisme, il ne fonde la destination suprême de son vouloir que sur son utilité et son bonheur personnel, et non sur la représentation de son devoir et s’abime dans l’hétéronomie ; quand il abdique du service exigeant de l’autonomie, de la subjectivation démocratique, et de l’exemplarité qui permet d’établir les libertés publiques, de construire et d’affermir la conscience de la citoyenneté, il réédite la faillite des clercs jadis dénoncée par Julien Benda et il creuse la tombe de la démocratie ! Par Isidore Kpotufe, responsable du Projet Francophone du think tank Imani Ghana.
Article publié en collaboration notre partenaire Imani